Riposte "Comint" franco-allemande

 
 


        N'oublions pas que le programme français Hélios, un réseau de satellites "d'observation" qui a la tâche officielle de prendre des photos minutieuses de la planète (coopération France Espagne Italie). Helios-1B a été lancé le 6 décembre dernier.
    A bord du premier engin lancé dans l'espace en 1995, Helios-1A, un petit boîtier d'écoutes électroniques a été ajouté au dispositif. Il s'agirait d'un relais d'un réseau d'écoutes sur lequel s'est greffé l'Allemagne, qui surveille des signaux radio -y compris ceux de ses plus proches alliés- avec la même dextérité. Le programme a ensuite été rebaptisé "Cerise". C'est Le Point et Jean Guisnel qui ont déjà remis la France à sa place en juin 1998 en dévoilant ce qu'un titre américain a appelé le "Frenchelon" (Ken Cukier, Communications Week). Le mois suivant, la Défense réagissait et reconnaissait l'existence de ce réseau d'écoute de type "comint". Plutôt rare, notait l'hebdo, pour la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
    La DGSE dispose, en particulier, d'un organe de surveillance et d'interception, le Groupement des contrôles radio-électriques (GCR), qui exploite un certain nombre de stations d'écoute en métropole, dans les DOM-TOM et dans le monde. Ces moyens d'interception, satellitaires ou autres, sont déployés à Alluets-Feucherolles (Yvelines), Agde (Hérault), Domme (Dordogne), Mutzig (Bas-Rhin) et Solenzara (Corse-du-Sud), à Saint-Barthélemy (dans les Antilles), à la Réunion, à Djibouti et à Mayotte (en océan Indien) et vient d'ouvrir deux nouvelles stations, l'une aux Emirats arabes unis, et l'autre en Nouvelle Calédonie. Surtout, en liaison avec les Allemands du BND (Bundesnachrichtendienst), les Français ont implanté une station d'écoutes sur la base spatiale de Kourou (Guyane française), qui peut intercepter les satellites évoluant au-dessus de l'Amérique.
    Après avoir désarmé le Berry en mai 1999 , la DGSE aura d'autre part, en 2001, un navire de recherches électromagnétiques, le Bougainville, armé par la marine et en cours d'aménagement, pour intercepter les émissions stratégiques, civiles et militaires d'un pays près duquel il croise.
    L'un des responsables de ces systèmes, a confié au Point qu'il serait inutile d'en vouloir aux américains : "C'est le jeu de la guerre secrète, à nous de faire comme eux et d'être aussi performants. C'est 'je te tiens, tu me tiens par la barbichette !' Il serait malvenu de s'en offusquer !"

    "Alors que les responsables du ministère français de la Défense, dont dépend la DGSE, avaient refusé de répondre aux questions du Point durant son enquête, ils ont été plus explicites après sa parution. Dans une démarche très inhabituelle, pour tous les services de renseignement du monde, le directeur de cabinet du ministre français de la Défense, François Roussely, a en effet confirmé l'existence de ce réseau d'interception national.

     "Et de préciser, dans Le Point du 20 juin dernier, que les systèmes français d'écoute sont "destinés au suivi des crises internationales, dans leurs dimensions militaires, notamment dans les zones où les forces françaises peuvent être engagées, à la surveillance du phénomène de prolifération des armes non conventionnelles, à la lutte contre le terrorisme. Du fait du caractère transnational de ces menaces, le recueil d'informations nécessite parfois des moyens qui dépassent les possibilités propres de chaque Etat. Cela implique pour la France de rechercher avec ses partenaires les solutions, notamment techniques, aptes à la prémunir contre ces dangers."
 
 

Helios1B






    Dans le dossier de presse du Ministère de la Défense consacré au lancement du satellite Helios-1B le 3 décembre, pas de miracle: le satellite "d'observation", second de la famille, n'est destiné qu'à récolter des images hautes résolution visant à la prévention des conflits.
Pas un mot bien sûr concernant les capacités d'Helio1A en terme d'interception des communications malgré l'enquête du Point et le fait que le ministère lui-même ait reconnu l'existence de cet embryon de réseau Echelon à la française. Interrogés, les services d'information de la Défense se bornent à dire que les deux engins ont des "capacités identiques", en terme d'imagerie bien-sûr, les détails sur les "autres fonctionnalités embarquées" restant bien sûr confidentielles.
 
 




Un mot clé très demandé par le gouvernement français

Documents déclassifiés (obtenu avec d'autres par NS Archives, un groupe indépendant) provenant du renseignement de l'US Air Force. Ci-dessous, l'une des "preuves", selon certains, qui manquaient pour que les politiques et la Justice s'en mêlent.







Paris, 17 février 2000. -- Le ministère français de l'Intérieur a du mettre son nez, tout récemment, dans les maillons du réseau Echelon. Le bulletin lambda a retrouvé, dans le Journal Officiel du 10 janvier 2000, la réponse qu'ont du apporter les services de la place Beauveau à la question du député Yves Nicolin (Démocratie Libérale, Rhône). Question écrite enregistrée à l'Assemblée le 25 octobre 1999, dans laquelle le député évoque les agissements de la NSA:

"... Cette agence se livre à un espionnage tant des particuliers, des grandes entreprises que des États d'Europe, depuis son centre technique installé en Grande-Bretagne. Il semblerait en particulier que des interceptions de communication au niveau de plusieurs grandes industries françaises mais aussi aux institutions de l'État sont effectuées continuellement et en toute impunité par la NSA, permettant notamment à des entreprises américaines d'en tirer profit au détriment de leurs concurrents européennes."

Il demande ensuite aux services de Jean-Pierre Chevènement "quelles mesures le gouvernement français entend mettre en œuvre ... pour (protéger) l'information et donc nos intérêts, diplomatiques, économiques et commerciaux."
La réponse mettra deux mois et demi à être inscrite au JO (10/01/00):

"... Mis en place par les États-Unis en 1948 [avec les 4 autres États], le système d'interception des transmissions hertziennes "échelon" (sic) a été créé dans le but de recueillir des informations sur la situation militaires de leurs éventuels adversaires. Le détournement de ce réseau à des fins espionnage économique ... appelle une particulière vigilance. Seule la prudence et la discrétion des utilisateurs ... constituent une parade. Le contenu des communications ne doit jamais comporter d'informations vitales surtout lorsque la liaison est relayée par un satellite de rediffusion (... connexions internationales). La libéralisation du chiffrement ...devrait en permettre un usage accru. Le ministère de l'intérieur contribue, dans son domaine de compétences, à la lutte contre les interceptions des télécommunications grâce aux structures ... de la police nationale chargées de la criminalité informatique...."

Leçons retenues :


 
 

SARRE ATTACKS

    Encore plus récemment, un autre député, Georges Sarre (Mouvement des citoyens, Paris), reprend le dossier en main. La semaine du 14 février, il a fait paraître au JO une autre question écrite (lire plus loin en détail). Le député n'en est pas à son premier coup d'essai : fin 98 et début 99, il y a déjà mis son nez , estimant que "l'engagement de poursuites judiciaires, au civil comme au pénal" pourraient être engagées "devant les tribunaux français".
Ces "poursuites", dit-il, sont motivées par de nouvelles "preuves" publiées aux États-Unis par le groupe de vigilance National Security Archives. Sarre rappelle dans sa missive que le Quai d'Orsay a déjà été interpellé à ce propos à deux reprises (réponses JO des 02/11/1998 et 22/02/99) mais que les diplomates avaient botté en touche. "Les révélations sur les activités du réseau Echelon (...) n'ont pas fait l'objet, à ce jour, d'un traitement spécifique dans les discussions internationales", avaient répondu le ministère français l'an dernier.
En attendant la nouvelle réponse du gouvernement, il a bien voulu nous donner des détails. Il semble en vouloir plus au double-jeu des "Anglais" qu'aux éventuelles atteintes aux libertés. Pour lui, la Perfide Albion montre son vrai visage en préférant asseoir la "suprématie des États-Unis" plutôt que de soutenir la construction européenne:
"Au delà de l'espionnage méthodique, centralisé et totalitaire, précise-t-il, [Echelon] permet de révéler au grand jour le vrai visage des anglo-saxons, et notamment des Anglais, vis-à-vis de la construction européenne, censée devenir un contrepoids à la domination américaine. Le fait que de nouveaux éléments soient apparus sur l'existence d'Echelon et ses capacités doit faire réagir le ministre des Affaires étrangères, poursuit-il. Il doit interpeller son homologue britannique et lui demander des explications."

'FRENCHELON'? En revanche, le député de Paris n'envisage de ne faire aucun amalgame entre Echelon et les propres moyens de surveillance électronique mis sur pied par la France et les Allemands (dossier 'Frenchelon'.
Dommage, un tel réseau mériterait de faire l'objet de la même sollicitude de la part de nos honorables parlementaires : Comment garantir que les capacités françaises n'ont pas également la possibilité d'échapper au contrôle démocratiques? Les libertés publiques sont-elles garanties, la question ne mérite-t-elle pas d'être posée?
George Sarre n'était pas en position de répondre. "Pas comparable", a-t-il dit.
La lettre de Georges Sarre dans son intégralité :

Monsieur Georges Sarre attire de nouveau l'attention de Monsieur le ministre des Affaires étrangères sur le réseau Echelon de surveillance et d'interception globales des télécommunications à l'échelle mondiale, géré conjointement par les États-Unis. le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Pour la première fois en effet, l'existence de ce programme d'espionnage vient d'être officiellement confirmé par une série de documents top -secret » américains récemment déclassifiés, obtenus par l'organisation non gouvernementale américaine National Security Archives en vertu de la loi américaine sur la liberté de l'information.

Outre l'engagement de poursuites judiciaires, au civil comme au pénal, auquel la divulgation de ces documents pourrait donner lieu devant les tribunaux français, Monsieur Georges Sarre estime qu'elle doit être par ailleurs l'occasion pour le Gouvernement de mettre résolument ce dossier sur la table avec l'ensemble de nos partenaires concernés afin d'en obtenir les explications qu'il est en droit d'attendre. À ce titre, Monsieur Georges Sarre rappelle que, dans sa réponse du 2 novembre 1998 à une première question à ce sujet, le ministre des Affaires étrangères assurait certes que le Gouvernement entend participer activement aux suites qui seront données » au rapport du Parlement européen sur Echelon (1998), mais se gardait de préciser de quelle façon avec qui et dans quel forum elles pourraient intervenir.

Il souligne également que, dans sa réponse du 22 février 1999 à une seconde question écrite à ce sujet, le ministre reconnaissait que les révélations sur les activités du réseau Echelon (...) n'ont pas fait l'objet, à ce jour, d'un traitement spécifique dans les discussions internationales ». Estimant, au vu des tout récents développements de ce dossier, qu'il convient de mettre un terme à cette situation, Monsieur Georges Sarre demande donc à Monsieur le ministre des Affaires étrangères de lui indiquer les initiatives politiques fortes que la France et l'Union européenne entendent désormais prendre dans cette affaire, à l'égard en particulier des cinq pays membres du réseau Echelon à commencer par celui des États-Unis, qui vient d'en reconnaître l'existence, et celui du Royaume-Uni, dont le rôle éminent dans un programme d'espionnage ciblant ses principaux partenaires de l'Union européenne devrait pour le moins susciter de sérieuses clarifications.


 

Des avocats s’en mêlent…

Document déclassifié de l'US Navy, qui parle des "unités Echelon" de la base américaine de Sugar Grove, en Virginie.






Des plaintes en justice déposées en France contre Echelon? C'est ce qu'a cru la semaine dernière l'association IRIS, en faisant référence à un article du Times du 10 février. Lecture un peu rapide, puisque le journal ne faisait que rapporter une supposition.
"Des Français prêts à porter plainte contre les États-Unis et la Grande-Bretagne au sujet d'un réseau d'espionnage"; tel était le titre du papier, il est vrai ambigu dans sa formulation anglaise ("French to sue US and Britain over network of spies".)
Cela nous a permis de découvrir le nom d'un avocat parisien, Jean-Pierre Millet, qui avec un de ses collègues a bien étudié le dossier.
"Rien n'est fait aujourd'hui", nous disait-il au téléphone. "Je me suis contenté d'expliquer à votre confrère britannique quelles étaient les voies possibles, pour des individus ou associations françaises, de porter cette affaire Echelon devant les tribunaux. Techniquement il est possible de porter plainte, au titre de la violation des lois en vigueur sur l'interception des communications privées. Mais je le répète, aucune action n'est encore engagée."

Aucun "nouveau rapport" sur Echelon n'est prévu. Le Parlement européen va juste organiser des auditions sur le document "Interception Capabilities" -- déjà rendu public en avril 1999. Son auteur, Duncan Campbell, sera présent.