Les grandes oreilles des espions américains.

 

 

• Le réseau Echelon met le monde sur table d'écoute

     Si vous passez un coup de fil outre-mer, surveillez vôtre langage! Non pas que câbles et satellites ne supportent plus les gros mots. Mais ils ont de grandes oreilles qui affectionnent tout particulièrement un certain type de vocabulaire...qui vous mène droit dans les services secrets américains.

     Ca vous dit, une mission de haut vol, sans bouger de chez vous? Alors choisissez un bon fauteuil et surtout, surtout, restez calme. C'est bon? Alors passons à la phase critique : décrochez vôtre téléphone, appelez votre correspondant en Guadeloupe, en Guyane ou à Saint-Barthélemy, et racontez-lui n'importe quoi. L'important, c'est que vous glissiez dans la conversation les mots suivants : plutonium, haute technologie, attentat, multinationale, CIA et FBI. Pour conclure, lancez un petit « Hello from France! » avant de raccrocher le combiné. Félicitation : vous venez d'enter en contact avec un espion américain, de lui faire un petit coucou.

     Il existe dans le ciel, sous terre et dans les mers de "grandes oreilles" qui nous écoutent en permanence. Des esgourdes phénoménales qui pourrait capter l'intégralité des communications échangées à travers la planète par des gouvernements, des entreprises ou des particuliers comme vous et moi. Et rien ne leur échappe : conversations téléphoniques, fax, e-mail, messages radio..., tout y passe! Ce fantastique réseau d'espionnage est contrôlé par l'Agence de sécurité américaine (NSA) et porte l'innocent nom d' "Echelon". Quoique d'autres l'aient aussi surnommé "le Club", par dérision ou par jalousie. Car pour assurer l'emprise de sa fantastique toile d'araignée sur l'ensemble du globe, les États-Unis ont forgé une alliance avec quatre autres pays anglo-saxons : la Grande-Bretagne, l' Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada...et pas un de plus! Ces membres privilégiés sont donc les seuls à collecter, se partager et exploiter la précieuse manne d'informations que recèle les écoutes indiscrètes.

     Et c'est précisément là que le bât blesse : les pays exclus de cette sainte alliance de l'espionnage internationale (la France et l'Europe continentale en tête) ne peuvent que se sentir visés! Comment, sinon, justifier l'existence même d'Echelon? Certes, à l'origine, la NSA a été créée pour intercepter les communications stratégiques de l'ex-bloc communiste en Europe. Mais depuis la fin de la guerre froide (1989), et a fortiori la chute de l'URSS (1991), il n'y a plus de grand méchant loup soviétique à combattre... Ce qui n'empêche pas le nombre d'antennes et la taille des stations d'écoute d'augmenter régulièrement. Selon Washington (acculé le 3 février 2000 à reconnaître l'existence d' Echelon), le réseau mondial d'écoute sert uniquement à la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, les trafiquants de drogue, la vente d'armes prohibées ou le blanchiment d'argent. Dont acte... et belle poilante en coulisses du petit monde de l'espionnage! Car dans ce cas, pourquoi avoir conservé le secret si longtemps? Pourquoi ne pas intégrer, par souci d'efficacité, d'autres nations dans le Club? Et surtout, comment expliquer la débauche de moyens réservés au fonctionnement d' Echelon?

 

• « Grandes oreilles »

     Le secret qui entoure Echelon rend difficile toute évaluation précise de ses performances et du bénéfice réel qu'en retient les cinq membres du "Club". Prudence et conditionnel sont donc de mise! Reste que les experts consultés par le Parlement européen accordent une "crédibilité très grande" aux faits rapportés, notamment par d'anciens employés de la NSA ou des services secrets impliqués. Les moyens d'Echelon serait donc considérables. Nul ne sait pour l'instant combien de personnes travaillent directement pour le réseau mondial, mais la seule NSA compte déjà pas moins de 38 000 employés. Echelon disposerait également de 120 satellites espions qui captent en permanence les moindre communications privées, pour peu qu'elles transitent par des satellites de communication. Les gros câbles de cuivres, installés au fond des océans pour relier les continents, ne sont hélas pas plus fiables : depuis une trentaine d'années, les Américains ont pris la sournoise habitude d'utiliser des sous-marins pour y connecter des systèmes d'interception. Idem pour les transmissions par fibres optiques, plus récentes, et que l'on espérait plus sûres : même infimes, les fuites sont suffisantes pour reconstituer l'information qui y transite à la vitesse de la lumière. Quand aux échanges par courrier électroniques, leur interception relève presque du jeu d'enfant. Le réseau Internet s'étant développé à partir des États-Unis, qui restent le centre du dispositif, même des messages qui n'auraient qu'à parcourir quelques mètres à vol d'oiseau peuvent transiter par les infrastructures américaines. Au final, on évalue la capacité d'écoute d' Echelon à environ 2 milliards de communications privées par jour!

 

• Photo

Pour voir une petite photo de la base de Menwith (Grande-Bretagne), réputée pour espionner toute l'Europe >>> Cliquez ici.

 

• Au service de la guerre économique

     Non, la vocation d' Echelon n'est plus essentiellement militaire, mais politique et économique. Politique parce qu'il est toujours bon de connaître les orientations d'un gouvernement étranger ou le contenu de ses échanges diplomatiques. Économique parce que, dans le monde entier, entreprises et industries se livrent une véritable guerre commerciale! Pour vendre des avions, construire des centrales nucléaires, être les premiers à sortir un ordinateur superpuissant, exporter des denrée, etc. Et la compétition est telle que tout information interceptée par Echelon peut favoriser une entreprise appartenant à l'un de ses cinq pays membre. C'est ainsi qu'en France, Thomson-CSF (vente de radars) et Airbus (avions) se seraient vu souffler des contrats mirifiques au Brésil et en Arabie Saoudite au profit de groupes américains : comme par hasard, et alors que tout semblait joué, les Yankees firent d'ultimes propositions juste un peu plus intéressantes que celles des Français.

 

• Un tamis de mots-clés

     Tout aussi grave : l'atteinte aux libertés individuelles. Comme les écoutes sont systématiques à l'échelle planétaire, il suffit que vous ayez une discussion qui transite par satellite, câble sous marins ou Internet pour qu'elle soit écoutée, enregistrée et passée au crible de puissants ordinateurs. Leurs systèmes "d'intelligence" artificielle trient en effet les communications à l'aides de "dictionnaires" qui rassemblent certains mots-clés, phrases, noms de personnes ou de lieux, à caractère sensible. Si un message contient l'un d'eux, il est automatiquement transmis à l'agence qui a constitué le dictionnaire. Au bout de la chaîne, un analyste humain juge de sa valeur, et les informations sont éventuellement transmises à qui peut en profiter. Un exemple? Imaginons que la Nouvelle-Zélande veuille en savoir un peu plus sur la présence d'un navire de Greenpeace dans ses eaux territoriales. Il lui suffirait d'incorporer les bon mots-clés dans un des dictionnaires (« Greenpeace », nom du navire, nom du capitaine, etc.) pour obtenir en retour une copie de toutes les communications téléphoniques, fax ou e-mails les intégrant. Pour peu que deux écologistes (disons l'un en France, l'autre au Brésil) discutent de ce sujet précis sans prendre de précautions, l'agence de renseignement néo-zélandaise serait automatiquement avertie. Et pourrait obtenir des informations fort utiles pour faire avorter l'une de ces opérations médiatiques dont l'organisation écologiste a le secret. Vous même n'êtes pas à l'abri! Si par exemple un proche, agent d'entretient dans un laboratoire, vous dit en passant qu'une équipe de chercheurs vient de fêter la "découverte d'un nouveau vaccin", ne le répétez surtout pas à vôtre frère en vacances en Thaïlande, à Kourou ou dans les îles Kerguelen. Il suffit que cette simple expression ait été incorporée dans l'un des dictionnaires du Club pour que, par ricochet, cela mette la puce à l'oreille d'un laboratoire américain concurrent. Tennez-le-vous pour dit, nous sommes tous des cibles potentielles! Reste que l'atteinte aux libertés individuelles a beau être manifeste, les États membre de l'Union européenne, principales cibles d' Echelon, ont peine condamner ce genre de pratiques . Pour la simple et bonne raison...qu'ils utilisent des systèmes similaires! En France, la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) a ainsi déployé ses propre "grandes oreilles" pour espionner ses voisins de métropole ou d'outre mer, et elle n'est pas moins soupçonnée de piller des secrets commerciaux.

 

• Incognito impossible

     Mais ce qui fait encore plus froid dans le dos, c'est la panoplie des techniques utilisées par les agences de renseignement pour surveiller leurs propres citoyens ! En particulier "pour suivre les activités de dissidents ou d'opposants politiques", martèle une étude remise au Parlement européen ( "Évaluation des techniques de contrôle politique", réalisée par la Fondation Omega, Manchester, pour la commission des Libertés publiques et des Affaires intérieures du Parlement européen ), mais aussi celles de "militants des droit de l' Homme, de journalistes, de responsables étudiants, de minorités ou de responsables syndicaux". Si vous avez récemment participé à une manifestation de lycéens, vous êtes donc peut-être déjà fiché quelque part. Bien sûr, il y a les technologies modernes déjà popularisées par les films d'espionnage : lunettes pour vision nocturne ; microphone parabolique ( permettant de détecter des conversations à plus de 1 km de distance ) ou laser ( capable de surprendre n'importe quelle conversation derrière une fenêtre fermée dans la ligne de mire ) ; caméra stroboscopique à même de prendre des centaines de photographies en quelques secondes ; scanner de téléphones mobiles, etc. Mais la grande vogue est aux systèmes de surveillance de masse ! Ainsi, selon David Banistar, de Privacy International, « des sociétés spécialisées vendent des systèmes informatiques avancés et des équipements de surveillance à des gouvernements qui les utilisent pour maintenir l'ordre, pour contrôler les frontières et l'administration sociale. Les rêves les plus fou de la police secrète est-allemande sont rapidement en train de devenir réalité dans le monde libre ». Brrrr ! À vous glacer le sang ! Exemple frappant : les "réseaux de surveillance avec télévision en circuit fermé" (CCTV), comme celui mis en place à Londres par la compagnie américaine Software and Systems. Durant un défilé ou une manifestation, ce système est tout bonnement capable de scruter les foules et de comparer les visages aux images mémorisées dans de puissants ordinateurs. D' autres réseaux, comme le système britannique Talon, peuvent reconnaître, de jour comme de nuit, les plaques minéralogiques à partir d'une technologie dite de "réseau neural". Résultat : il est désormais possible d'enregistrer, un par un, l'intégralité des véhicules qui entrent ou quittent le périphérique de n'importe quelle grande ville !

 

• L'espion qui m'émet (quelques précisions sur les scanners de téléphones portables)

     Comme un quart des Français, vous avez peut-être un téléphone mobile. Alors comme un quart des Français, vous êtes localisable à tout instant ! Pour vous transférer un appel, les réseaux de communication doivent en effet suivre vos déplacements pour savoir d'où l'émettre. Du coup votre mobile envoie régulièrement un signal capté par les stations-relais les plus proches. Comme son intensité dépend de la distance, il est dès lors possible de vous localiser, à quelques mètres près. Une aubaine pour la police ou les services de renseignements ! Nos amis suisses ont d'ailleurs pu participer à cette savoureuse expérience : selon l'hebdomadaire Sonntagszeitung, les policiers helvètes se sont acoquinés avec l'ordinateurs de Swisscom pour enregistrer six mois durant, les mouvements de plus de 1 million d'abonnés ! Au moins, ils ne risquaient pas de se perdre.

 

• Des outils de rêve pour les dictatures.

     Mais le pire, c'est quand des régimes autoritaires s'emparent de ces technologies à des fins répressives. Ainsi en Chine, où des systèmes de contrôle de la circulation, mis en place sur la place Tiananmen, ont été détournés pour renforcer d'autres réseaux de surveillance. Si bien qu'après la manifestation des étudiants sur cette place en 1989, les images recueillies ont été diffusées par la télévision chinoise, assorties d'une récompense pour ceux qui reconnaîtrait les visages. Résultat : une véritable chasse aux sorcières ! « Les autorités ont torturé et interrogé des millier de personnes », assène l'étude de la Fondation Omega, et l'ensemble du dispositif « a abouti à l'identification de la quasi-totalité des opposants ». Nos bonnes compagnies occidentales ont-elles pour autant retenu la leçon? Pensez-vous ! Sans être dupes (ou alors elles souffrent d'un manque coupable d'imagination), les voici qui continuent d'exporter des systèmes de contrôle de la circulation au Tibet, sous domination chinoise. Et plus particulièrement  à Lhassa... qui ne connaît aucuns problèmes d'encombrements ! Révoltant? Sans conteste. Mais sommes-nous pour autant mieux lotis dans nos pays démocratiques ? En principe, oui : il existe un arsenal de lois protégeant les libertés individuelles, et la justice met régulièrement son nez dans certaines activités illégales des services secrets. Mais les élus eux-même ont peine à contrôler tout ce qui se passe ! Aussi, vu que l'espionnage à grande échelle ( du simple citoyen aux grand de ce monde ) s'est élevé au rang de sport international pratiqué sans vergogne, il y a vraiment de quoi se faire de la bile.

 

• Reconnaissance vocale, quelques précisions sur les écoutes téléphoniques

     De puissants ordinateurs sont au cœur du fonctionnement d' Echelon. Car il n'est pas question pour le personnel de la NSA ou de ses alliés d'écouter une à une toutes les conversations interceptées ! Non, c'est grâce à des systèmes de reconnaissances vocale, qui détectent automatiquement des mots-clés rassemblés dans des listes ( les dictionnaires ), qu'un large tri est effectué. Si bien que l'écoute humaine proprement dite n'intervient que sur une sélection très réduite. Reste que la technique n'est pas non plus complètement au point. Des test effectués sur des conversations fournies par le ministère américain de la Défense, passées au crible de 22 mots-clés, ont ainsi montré que sur 1000 d'entre eux cités en une heure, 300 sont ignoré et 220 fausses alertes déclenchées. L'efficacité réelle de la reconnaissance vocale se situe finalement entre 45 et 48 %. Pas terrible... mais suffisamment inquiétant au vu des progrès à venir !

 

• Parades

     Comment lutter contre l'espionnage intempestif ? Pour les communications téléphoniques, les employés d'entreprises utilisent de plus en plus des mots codés. "Missiles", "brevet", ou "prototype" risquant d'être repérés, on les remplacera volontiers par "cornichon", "parchemin" ou "balai d'essuie-glace" pour passer au travers des mailles du filet. Quand aux messages transmis via Internet, la meilleur solution est encore le cryptage. Même pour des ordinateurs très puissants, il faut en effet plusieurs secondes, heures, voire années pour décoder des textes hyperprotégés. En France, les logiciels de cryptage furent longtemps réservés aux services secrets, diplomates et autres militaires, mais (lutte contre les "grandes oreilles" oblige) on peut légalement les utiliser depuis 1999.

 

Sources : Science & Vie, Olivier Fèvre.

 Si vous voulez plus d'info, un livre est sorti sur ce sujet : “ Surveillance  Électronique Planétaire ”, écris par Duncan Campbell, éditions Allia. ( ce livre qui n'est autre que le rapport fait pour la commission Européenne... )

 

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