Les pressions, les réactions politiques

 
 
 

Techniques de contrôle politique:
Big Brother gravit le dernier échelon!
 
 
 

Paul LANNOYE, député européen
Olivier DELEUZE, député, Chef de groupe ECOLO-AGALEV
Jean-Luc ROBERT,Conseiller du Groupe des Verts
à la commission des libertés publiques du Parlement européen


Bruxelles, 22 septembre 1998

I. Les faits : l’existence d’ECHELON

Une étude commandée par STOA (Scientific and Technological options assessment) à la demande de la Commission des libertés publiques du parlement européen confirme ce que dénonçaient depuis de nombreuses années certains observateurs (journalistes et activistes membres d’ONG) : toutes les communications électroniques, téléphoniques et par fax en Europe sont interceptées par la NSA, National Security Agency des Etats-Unis (Agence nationale de Sécurité). Cette Agence gère le système de quadrillage des télécommunications le plus vaste du monde à partir des satellites Vortex. L’un des principaux postes d’écoute est situé à Menwith Hill, dans le Yorkshire (Royaume Uni).

Le rapport intérimaire publié par STOA montre par ailleurs que la NSA dispose d’un système sophistiqué d’intelligence artificielle connus sous le nom d’ECHELON. Ce système vise essentiellement des cibles non militaires : des gouvernements, des organisations et des entreprises. Les informations issues de ce système sont à la disposition de cinq Etats, soit, outre les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et... le Royaume-Uni.

L’origine historique de cette «infrastructure» remonte à 1948, époque de la guerre froide, où un accord UK-USA fut signé, avec comme objectif le renseignement militaire. La fin de la guerre froide a entraîné une mutation de cet objectif. L’espionnage économique et politique est devenu la raison d’être du centre de Menwith.
 
 

II. Une situation intenable

Ces révélations pour le moins explosives posent de nombreux problèmes politiques à l’Union européenne:

En outre, l’existence sur le territoire d’un Etat membre d’une base servant à l’espionnage économique d’autres Etats membres constitue de façon évidente un obstacle à la libre circulation des capitaux (titre II, article 3c) en interférant dans certaines transactions ou négociations et une distortion de concurrence au sens de l’article 85 du traité.
 

III. L’attitude de la Commission et du Conseil
 

1. La déclaration du commissaire Bangemann au parlement européen ce 14 septembre à propos d’ECHELON fut aussi lénifiante qu’embarrassée. Le commissaire met en doute l’existence même d’Echelon ; «nous n’avons pas le moindre indice venant d’un Etat membre montrant que quelqu’un (citoyen, entreprise,...) se trouve lésé dans ses droits et montrant que ce système existe réellement.»

«Nous savons par ailleurs qu’il existe une collaboration dans le cadre de la lutte contre la criminalité (réseaux organisés; formes de criminalité internationale,...) Mais ceci ne concerne pas le système ECHELON. Il s’agit d’une collaboration officielle et non pas du non respect de certaines droits.

Si le système existait, tel que décrit, il s’agirait effectivement d’une violation des droits, des droits individuels du citoyen et d’une atteinte à l a sécurité des Etats membres.»

On peut s’étonner d’une telle réponse alors que au sein même de la Commission, il semble bien que de hauts fonctionnaires s’inquiètent des risques d’interception de communications importantes émanant de leurs services. Le président Santer lui-même aurait pris l’initiative d’alerter les principaux responsables de l’institution...

2. Le Conseil et les organes qui en dépendent ne sont pas restés inactifs au cours de ces dernières années en ce qui concerne l’interception des télécommunications. Agissant dans le cadre du troisième pilier de l’Union (titre VI- disposition sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures), le Conseil agit depuis plusieurs années à l’abri de tout contrôle parlementaire et à l’insu des citoyens, pour organiser l’interception des télécommunications.

La seule base juridique, très mince d’ailleurs, sur laquelle se fonde l’action du Conseil est la résolution du 17 janvier 1995 «relative à l’interception légale des télécommunications» (doc 96/C329/01) ; celle-ci énumère les «spécifications» (requirements) des Etats membres les autorisant à opérer une interception et demande aux mêmes Etats membres de les prendre en considération lors de la définition et de l’exécution de l’interception légale...

Depuis lors, plus rien d’officiel n’a été publié. Notons au passage qu’il a fallu 22 mois (un record!) pour que cette résolution soit publiée au journal officiel (4 novembre 1996) et qu’aucun débat n’a eu lieu au Conseil de la justice et des affaires intérieures préalablement à cette adoption (c’est la procédure écrite qui a été retenue).

En fait, selon l’organisation Statewatch, basée au Royaume-Uni, le texte de cette résolution est la copie quasi conforme des dispositions du FBI (USA) en la matière ; il résulte en fait d’un accord préalable FBI-UE et débouche sur un projet de Convention à 20 sur l’assistance mutuelle en matière criminelle, Convention qui est toujours en préparation aujourd’hui.


Outre la totale opacité du processus de préparation de cette convention, on comprend mieux la filiation avec ECHELON en pointant les participants au groupe des 20, lequel fonctionne, semble-t-il en dehors »du troisième pilier» : en plus des 15 membres de l’Union, on retrouve évidemment, les Etats-Unis, mais aussi le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, soit les participants à ECHELON, plus la Norvège.
Il est difficile de ne pas voir dans ce processus une tentative de légitimation a posteriori d’ECHELON, le produit final étant livré certes aux parlements nationaux pour ratification, mais sans possibilité d’amendements.
 

IV. Conclusions et initiatives politiques

Sur Echelon :
 

Sur les systèmes de surveillance en général:
 

Enfin, ils estiment que les systèmes automatisés d’identification doivent s’appuyer sur les dispositions de l’article 15 de la directive européenne de 1995 relative à la protection des individus et au traitement automatisé de l’information nominative.
 
 



Les réactions aux parlements
Français et Européens




        Les députés du Rassemblement Pour la France au Parlement européen se sont intégralement associés à la demande de constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur le système Echelon.
Lors de la conférence de presse organisée à l'initiative du groupe des "Verts", William Abitbol, porte parole du RPF, a souligné les menaces que font peser sur la liberté des citoyens et des entreprises européennes la persistance du fonctionnement d'un tel système, et la désormais inévitable question des rapports entre le Royaume-Uni et les autres membres de l'Union européenne - avant de se féliciter de voir enfin le Parlement totalement dans son rôle au travers d'une initiative de contrôle susceptible de faire progresser l'idée d'une Europe européenne, c'est à dire une Europe indépendante.
Rappelant que le traité d'Amsterdam avait contraint les Etats membres à déléguer une large part de leur souveraineté en la matière au niveau communautaire, les députés du RPF souhaitent que cette commission d'enquête permette de vérifier dans quelles conditions cette souveraineté est défendue par le Conseil et la Commission, et de vérifier notamment si cette "communautarisation" ne constitue pas un recul qui accroît les dangers plus qu'il ne les élimine.
Le Rassemblement pour la France est d'autant plus déterminé à continuer son action en faveur de cette commission d'enquête que le Conseil et la Commission, dans le débat d'aujourd'hui, ont encore pratiqué sans vergogne l'art de l'esquive, en s'abstenant de toute réponse précise aux questions provenant pourtant de groupes politiques de tous horizons.
A l'heure où les Etats-Unis -via un ancien directeur de la CIA- reconnaissent eux mêmes l'existence du système et où plusieurs parlements nationaux se sont déjà saisis du problème, le Conseil déclare "ne pas disposer d'éléments d'information précis et objectifs" sur le sujet, et la Commission souligne qu'elle n'a reçu aucune plainte de la part d'entreprises auxquelles l'activité présumée d'Echelon aurait porté préjudice. De qui se moquent ils ?
 
 

        Communiqué du 28 mars 2000 sur le réseau Echelon concernant la demande de constitution d'une commission d'enquête au Parlement.

Le groupe des verts au Parlement européen a annoncé mardi avoir réuni suffisamment de signatures d'eurodéputés pour demander la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur le système Echelon d'interception des télécommunications.
"Il s'agit d'une véritable menace vis à vis des citoyens. Il est nécessaire de porter ceci à la lumière du jour. Une telle zone grise n'est pas tolérable", a déclaré Heidi Hautala, coprésidente du groupe des Verts, lors d'une conférence de presse à Bruxelles.
La demande de commission d'enquête a été cosignée par 171 députés européens (sur 626) alors que le minimum requis est du quart de l'assemblée (156). Elle a été transmise à la Présidente du Parlement européen, Nicole Fontaine.
Des documents ultra- secrets, récemment déclassifiés par l'Agence américaine pour la sécurité nationale (NSA), ont confirmé l'existence d' Echelon, un système planétaire d'interception des communications téléphoniques privées, des fax et des courriers électroniques. La Grande-Bretagne, membre de l'Union européenne, abrite des bases d'écoutes de ce système.
Outre l'ensemble du groupe des Verts (48), la demande de commission d'enquête est soutenue par la totalité des députés de la Gauche Unitaire (GUE, proche des communistes, 42) et l'ensemble du groupe de l'Union pour l'Europe des Nations (droite souverainiste, 30).
La commission d'enquête est également appuyée par 15 députés socialistes (sur 180), 11 démocrates chrétiens (sur 232), des libéraux (5 sur 31), des indépendants (6 sur 18) et la quasi totalité du groupe Europe des différences (EDD, 14 sur 16) où siègent notamment les élus du mouvement français des chasseurs.
Paul Lannoye, qui copréside le groupe des Verts, a estimé que le réseau Echelon posait la question d'une directive (loi) européenne de 1997 qui prévoit le respect de la confidentialité des communications. Selon lui, la commission d'enquête devrait notamment s'efforcer de faire la lumière sur les allégations d'espionnage économique ou sur le rôle du Royaume Uni dans le système.
Le socialiste Harlem Désir, signataire de la demande, a stigmatisé "le silence des institutions européennes" et "la timidité de réaction du Conseil et de la Commission européenne". "Le Parlement assume ses responsabilités", a-t-il dit, en défendant "une bataille de l'Europe pour son indépendance".
Le Président du groupe GUE, Francis Wurtz, entend "faire la lumière sur ce qui s'est passé jusqu'ici", notamment sur le type d'informations recueillies via Echelon et sur l'accord Ukusa entre le Royaume Uni et les Etats-Unis.
William Abitbol, du groupe UEN, a mis l'accent sur le "besoin d'information" de l'opinion publique, dont le Parlement européen veut être l'expression. "L'idée d'Europe européenne peut progresser" a-t-il estimé.
La demande doit maintenant être examinée dans dix jours par la conférence des présidents des groupes, qui fera une recommandation à la session plénière d'avril.
La création de la commission d'enquête dépendra de fait du feu vert des deux principaux groupes, socialistes et démocrate- chrétien, a reconnu Paul Lannoye.

( le 28 mars)


 
 
 

Espionnage électronique : Echelon déchaîne les passions, pas l'action (29/02/00)

L'apparition au grand jour du réseau d'espionnage anglo-saxon Echelon a réveillé les ardeurs belliqueuses de nombreux députés en Europe. Sans guère convaincre les autorités des dangers du système.
Mercredi 23 février, dans le cadre des questions au gouvernement, le député MDC George Sarre a interpellé la garde des Sceaux, Elisabeth Guigou. Il lui a demandé quelles initiatives comptaient prendre le président de la République, le gouvernement et l'Union européenne. Sans obtenir de réponse claire de la ministre, qui a avant tout mis en avant la libéralisation des outils de cryptographie décidée précédemment par le gouvernement Jospin.
Quant aux soupçons sur les dérives commerciales d' Echelon, Elisabeth Guigou n'a pu que déclarer : "Il semble que ce réseau soit utilisé à des fins d'espionnage économique. "Des déclarations entrecoupées d'exclamations, vitupérations et autres applaudissements des députés présents, dont un groupe de députés RPR appelant carrément à la guerre!
Au même moment, le Parlement européen prenait connaissance de rapports rédigés par le STOA (Scientific and Technological Options Assesment). Là aussi, face à l'énervement ambiant, la réaction des autorités a avant tout été marquée par le doute.
Dans le Wall Street Journal, le commissaire européen en charge du marché unique, Frits Bolkenstein, a qualifié de "rumeurs" le fait qu' Echelon puisse servir l'espionnage commercial. C'est surtout la menace sur les libertés individuelles que fait courir un tel système qui semble préoccuper les autorités européennes.