Les Réactions de la Suisse à Echelon

 
 


L'Echelon suisse, le GR.

    Le GR, le nouveau système de surveillance suisse, opérera en principe une écoute spécifique, soit sur certains canaux de communication et numéros de téléphone, fax ou adresses E-mail passant par le satellite. Si d'autres informations lui tombent entre les mains, il se fiera à un "dictionnaire" de mots clés ou sujets intéressant la sécurité, dont la liste sera contrôlée par le Conseil fédéral. Seuls les natels nationaux échapperont à cette écoute.

Les deux stations d'écoute directionnelle des ondes radio de Merishausen et Rüthi détectent les mouvements de troupe et leurs communications radio. Les informations sont acheminées à Zimmerwald. C'est dans ce même village que seront acheminés les informations venues des deux futures stations d'écoute des télécommunications satellite de Loèche et Heimenschwand où elles seront décryptées avant analyse.
 
 




- Interview avec Peter Regli, chef des renseignement suisses.

>>Le GR veut acheter du matériel high-tech d'écoute téléphonique. Pour quoi faire?

        La Suisse a pris beaucoup de retard dans ce domaine. Si nous voulons participer à l'échange d'informations avec d'autres services de renseignement, il est indispensable d'avoir nos propres sources. Dans ce milieu, c'est donnant-donnant.
 

>>Vous dites que vous voulez traquer le crime organisé. Mais c'est le travail de la police...

        Ce système est avant tout destiné au gouvernement. Mais si, parmi les informations que nous dépouillerons, il y en a qui peuvent intéresser la police ou la justice, nous les leur donnerons, à condition évidemment que le Conseil fédéral soit d'accord. Nous préparons en ce moment une liste de mots clés qui serviront à dépouiller la masse des informations que nous recueillerons sur les satellites. Cette liste sera soumise à l'approbation du gouvernement et contrôlée par une délégation du Parlement.
 

>>Comment allez-vous réagir si, par hasard, tombent entre vos mains des informations qui concernent une entreprise?

        Là encore, c'est le pouvoir politique qui décidera quel usage on fait de ces informations. Mais ce matériel doit d'abord servir le gouvernement.
 

>>Est-ce que vous êtes vraiment préparés à assurer ces nouvelles tâches?

        Nous avons cinq ans devant nous pour nous préparer.
 

>>Un autre de vos projets, c'est la création du poste de coordinateur du renseignement...

        D'abord, sachez que sur ce sujet le Conseil fédéral n'a pas encore pris de décision. Le but de cette fonction, si elle voit le jour, est d'assurer une meilleure information du gouvernement ou de son président qu'on ne le fait actuellement. Aujourd'hui, je peux l'informer sur un sujet quelconque mais je ne sais pas s'il en a vraiment besoin. Ce coordinateur nouvelle manière serait, lui, en contact permanent avec le président - dans l'hypothèse où on crée un département présidentiel - ou avec le collège pour répondre rapidement à ses besoins d'information ou à ses soucis stratégiques. Toute la différence avec la situation actuelle tient dans le fait que ce coordinateur doit connaître en permanence les besoins du Conseil fédéral pour y répondre vite et proposer des options stratégiques. Dans d'autres pays, cette fonction existe déjà: aux Etats-Unis, elle est assurée par le chef de la CIA, en Allemagne par le Kanzleramtsminister. Aujourd'hui, avec ce qui se passe autour du PKK, cette fonction aurait tout son sens: le gouvernement serait informé en permanence des risques de manifestations violentes, d'attentats...
 

>>Mais ce rôle est dévolu au chef de l'état-major général...

        Oui, mais il a mille autres choses à faire.
 

>>Ce coordinateur, c'est un huitième conseiller fédéral?

        Pas du tout, c'est plutôt un conseiller sur les questions stratégiques; mais il ne décide rien tout seul.
 

>>Avec les nouveaux moyens que vous vous êtes donnés, peut-on imaginer qu'un jour vous écoutiez les conversations des ministres européens des Affaires étrangères quand la Suisse négociera son adhésion à l'UE?

        Le coordinateur fera ce que le pouvoir politique lui demande.
 
 

- Les nouveau espions suisses. -




Essayez donc de penser à un "espion suisse". Irrépressiblement, vous montera aux lèvres un sourire condescendant. Le rire n'est plus de saison: les espions suisses sont de retour. Au début de ce mois, le Département de la sécurité de la population et du sport (DDPS, ex-DMF) annonce l'achat pour "plusieurs dizaines de millions" (chiffre confidentiel) d'un système d'espionnage des télécommunications par satellite opérationnel en 2004. Rien que ça.

Pour tout dire, l'affaire aurait dû rester ultra-secrète. Il a fallu l'indiscrétion d'un conseiller communal de Zimmerwald, là où seront installées les paraboles, pour que le DDPS se résolve à l'aveu: il veut, lui aussi, via ses services de renseignement, participer à la traque du "terrorisme international, du trafic d'armes et de la criminalité organisée".

1990, c'est l'annus horribilis pour les suisses. Effarés, les enquêteurs du Parlement viennent de découvrir à quoi ont joué les 007 helvétiques pendant la guerre froide: bien sûr il y a les fiches, mais aussi la P-26, l'armée secrète censée préparer clandestinement la résistance à un envahisseur. Une opération menée dans le plus grand secret, sans contrôle et dans la plus grande confusion des rôles.

Il faudra dix ans aux services suisses pour se remettre de révélations qui les mettent pareillement à nu. "En quelques mois, le nombre d'informations en provenance des services étrangers a diminué de plus de moitié", raconte Jacques Baud, ancien du Groupement renseignement et sécurité (GRS) et auteur d'une "Encyclopédie du renseignement et des services secrets". Remonter la pente, c'est l'obsession du chef du Groupe renseignement (GR) - nouvelle dénomination depuis 1993 - le divisionnaire Peter Regli. Depuis cinq ans, il a fait plusieurs fois le tour du monde pour renouer avec les services amis; il a aussi renouvelé le recrutement et la formation des attachés militaires, nos "espions officiels" à l'étranger. Jadis délicieuse sinécure pour colonels en fin de carrière, la tâche est désormais assurée par des officiers formés dans les meilleures écoles. Mais à force d'activisme, il arrive aussi à Peter Regli de se tromper. Ainsi lorsqu'il veut mettre sur pied une vaste banque de données du renseignement dénommée NASIS, qui rappelait par trop les fiches et menaçait de finir en fiasco financier, il est désavoué par sa hiérarchie.

Et cela dure encore: il y a quelques mois, de paisibles espions israéliens se font arrêter à Berne par une patrouille de police alors qu'ils posent un matériel d'écoute chez de supposés terroristes. "Si Israël a pris le risque de griller deux espions pour une mission aussi routinière, c'est qu'il n'a plus confiance en la capacité antiterroriste de la Suisse et ça, c'est grave", explique Maurice Botbol, responsable de la revue "Le Monde du renseignement" à Paris.

Car malgré la chute du mur de Berlin, les espions suisses "par formation et par atavisme", dit l'un d'eux, continuent à ne s'intéresser qu'aux seuls militaires. "On compte les têtes nucléaires au Kazakhstan et on écoute toujours les fréquences inoccupées de feu le Pacte de Varsovie." Un seul domaine échappe à cet implacable réquisitoire: l'exportation de produits dits sensibles, qui entrent dans la fabrication d'armes chimiques où la Suisse est, dit-on, "à niveau".
 

Crises mal gérées

Courant après leur réhabilitation, les espions suisses ont déjà marqué quelques points dans l'administration. Depuis deux ans, le DDPS tente d'imposer l'idée d'un "coordinateur du renseignement". Une sorte d'homme-orchestre chargé de rassembler toute l'information disponible et synthétisée dans les sept départements pour la transmettre régulièrement et directement au Conseil fédéral. Il pourrait aussi répondre aux besoins d'information du gouvernement sur l'un ou l'autre dossier en cours. L'idée est fermement soutenue par la commission de sécurité unanime. "L'information disponible au GR, aux Affaires étrangères, à la Police fédérale se disperse et n'arrive jamais directement au Conseil fédéral, c'est un comble, s'emporte son président, le Bernois Samuel Schmid. Le projet n'attend que le feu vert du Conseil fédéral. S'il l'accepte, il lui faudra surmonter d'ultimes réticences comme celle du socialiste Paul Günter (BE) qui craint autre chose: "Ce personnage aurait trop de pouvoirs entre les mains. Pensez, en connaissant les besoins du gouvernement, il serait une sorte de huitième conseiller fédéral, échappant à tout contrôle, avec le risque d'être manipulé par les services étrangers dont la Suisse reste dépendante."

"Dans cette matière, en Suisse comme ailleurs, le risque zéro n'existe pas. Le renseignement stratégique et politique peut et doit être contrôlé, mais il existe toujours une zone grise qui échappe à la transparence." Le spécialiste français n'y voit pourtant pas une raison de se priver d'un instrument pour lequel la plupart des pays continuent à investir des montants faramineux.